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« Donner du sens et personnaliser le parcours sont les clés d’une formation réussie »

Gamification, adaptive learning, univers pédagogique immersifs… Difficile de s’y retrouver face à tous ces nouveaux outils et méthodologies qui prétendent révolutionner la formation professionnelle ! Afin de décrypter ces récentes innovations, nous avons interrogé Karine Sacépé, docteure en Management de l’innovation, Responsable scientifique du programme Future of People@Work, Capgemini Engineering France.

Quelles sont les grandes tendances à l’œuvre dans le secteur de la formation professionnelle aujourd’hui ?

Il y a tout d’abord une volonté d’accélération de la formation : on veut qu’elle soit la plus courte possible. Aujourd’hui on compte davantage en heures qu’en jours. Ensuite, la volonté d’avoir accès à la formation sans s’extraire de son lieu de travail constitue une nouvelle évolution structurante, qui implique une réduction des déplacements. L’e-learning apporte une réponse très concrète à cette problématique, en solutionnant à la fois les contraintes de temps et de déplacements.

On observe aussi une tendance à la démocratisation de la formation, grâce au CPF et à l’accès à des milliers de contenus sur internet avec les MOOCs[1] par exemple.

Enfin, avec de nouvelles manières de certifier, qui peuvent aller jusqu’à des systèmes dans la blockchain, une décentralisation s’opère : ce n’est plus uniquement le fait d’être passé par une grande école qui va être récompensé. On prête une attention croissante à la compétence, au résultat concret.

Que l’on soit en poste ou en recherche d’emploi, la formation est aujourd’hui un passage obligé. Comment donner envie aux personnes d’apprendre ?

L’un des enjeux clé est aussi avant tout de donner du sens à la formation, c’est-à-dire permettre à l’apprenant d’identifier un intérêt réel et personnel au développement de compétences. C’est aussi « apprendre à apprendre » grâce à des méthodologies issues des sciences cognitives. C’est particulièrement le cas en e-learning, où l’apprenant est autonome et ne peut pas compter sur la stratégie d’un enseignant. Parmi les techniques très utilisées : les méthodes fondées sur le « nudge », qui s’appuient sur les biais comportementaux de l’apprenant pour l’orienter vers davantage de concentration, accroître ses capacités de mémorisation et lui donner envie d’avancer dans la formation.

De nouvelles solutions émergent aussi pour améliorer l’expérience : notamment pour capter l’attention sans distraire, pour aider à prendre le virage du digital sans perdre les personnes les moins connectées, pour faire de l’immersif sans pour autant sursolliciter cognitivement l’apprenant.

La gamification va aussi dans ce sens, avec le déploiement de serious games, sous-tendu par l’importance croissante portée au storytelling. Ce ne sont pas juste des concepts que l’on vous demande d’apprendre, il y a toute une ingénierie pédagogique derrière avec la mise en place d’un apprentissage actif qui facilite la mémorisation et rend l’expérience plus agréable.

Formation et IA sont deux domaines que l’on ne marie pas volontiers en première intention. Et pourtant…  Pouvez-vous décrypter cette tendance ?

L’IA et le Machine Learning ouvrent des possibilités considérables pour l’adaptive learning : ils permettent de concevoir un parcours sur mesure, personnalisé en fonction du profil de l’élève.

Grâce à d’importants volumes de données, les plateformes d’adaptive learning sont capables de définir un profil d’apprenant. C’est à partir de ce profil que des algorithmes proposent un parcours sur mesure, adapté à chaque élève, à sa personnalité, à son niveau de connaissances ou encore à ses préférences en matière d’apprentissage.

Quels sont les cas d’usage des univers immersifs au service de la formation professionnelle ? Y a- t-il des secteurs qui seront davantage concernés ? Quelles sont les limites ?

On observe dans les environnements immersifs pédagogiques que les apprenants sont impliqués environ trois fois plus et sont davantage connectés émotionnellement, ce qui les rend moins distraits par des sources extérieures et permet une mémorisation à 90 % des connaissances. Une façon de renforcer l’autodidaxie, de favoriser des mises en pratiques répétables et des scenarii complexes.

À l’origine, les univers immersifs étaient utilisés pour se prémunir des risques dans certains secteurs industriels. Par exemple avec des jumeaux numériques pour pouvoir manipuler à distance dans le nucléaire, ou encore en médecine pour pouvoir manipuler des représentations du corps humain. Aujourd’hui cette technologie s’étend aux softskills. On collabore actuellement avec une grande école internationale sur le développement de modules de négociation pour des cadres dirigeants dans un environnement immersif, avec plusieurs personnes connectées.

Il y a des limites au déploiement de ces univers immersifs en formation, notamment autour de l’expressivité des avatars, qui reste limitée et rend difficile la transmission de ce qu’on appelle communément le « non-verbal ». Il est aussi important de prendre en compte les préconisations relatives au temps à passer dans ces univers qui vont avoir un impact sur la durée du port de casque et la nécessité d’aménager des pauses.

Il y a aussi d’importantes réticences en termes d’acceptabilité. Nous avons identifié dans nos études quatre familles de résistance : le rapport à la réalité, la question de la durabilité, avec des dispositifs très énergivores, la dimension surveillance, en lien avec la protection des données personnelles et pour finir la surcharge cognitive.

Il est donc crucial d’adresser ces dangers psychosociaux, environnementaux et physiologiques et de bien analyser l’équilibre bénéfices-risques avant d’envisager un déploiement.

Quels sont les KPI qui permettent de mesurer la performance de dispositifs de formation ? Comment les CEO et les DRH peuvent-ils examiner le chemin parcouru et ce qu’il reste à faire ?

Tout un panel de dispositifs permet de mesurer des taux de fréquentation, de réussite, d’engagement, etc… Mais ces indicateurs peuvent induire un fonctionnement sur un mode consumériste. Depuis que je travaille dans le domaine, on n’a pas vraiment trouvé d’indicateur magique permettant d’analyser ce que concrètement les apprenants vont tirer de leur formation en revenant à leur poste de travail. L’objectif premier c’est que les apprenants transforment les comportements.

J’estime que les meilleurs dispositifs sont ceux qui sont soutenus par le management. Des dispositifs avec lesquels on ne s’arrête pas à des statistiques d’apprentissage mais où l’on considère concrètement l’appropriation et la mise en pratique des compétences et des savoirs acquis lors du programme de formation. Au sein des entreprises on ne devrait pas former pour former, mais pour valoriser et développer le potentiel des ressources humaines. C’est quelque chose de très humain finalement.

Face à des gens de plus en plus autonomes et qualifiés qui revendiquent le droit à l’erreur et à la créativité, il est nécessaire d’ajouter de l’autonomie et de la responsabilisation dans nos programmes. La clé ? Que les apprenants trouvent eux-mêmes des solutions. On apprend aux gens à pêcher, on ne leur donne pas des poissons…


[1] MOOCs : « Massive Open Online Course », formations interactives dispensées en ligne et ouvertes à tous, sur inscription.

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