Gestion « hybride » de l’entreprise : vers un modèle à la croisée des objectifs financiers, sociaux et environnementaux.

Comment parvenir à concilier des objectifs financiers avec une performance sociale et environnementale en entreprise ? En somme prêter davantage d’attention à l’impact de l’entreprise sur la société sans renoncer à une conquête commerciale de son marché. Anne-Claire Pache, Professeur au sein du Département Droit et Environnement de l’Entreprise à l’ESSEC et Professeur titulaire de la Chaire Philanthropie, nous éclaire sur les besoins spécifiques des entreprises dites « hybrides ». Décryptage.

Anne-Claire Pache, Professeur au sein du Département Droit et Environnement de l'Entreprise à l’ESSEC et Professeur titulaire de la Chaire Philanthropie
Anne-Claire Pache, Professeur au sein du Département Droit et Environnement de l’Entreprise à l’ESSEC et Professeur titulaire de la Chaire Philanthropie

Construire une gestion « hybride » engageante

Les entreprises peuvent-elles encore concevoir la responsabilité sociale comme un axe secondaire de leur développement ? Il semblerait que non. De plus en plus de jeunes entreprises construisent leur identité autour de la notion de responsabilité sociale et environnementale. D’autres opèrent le changement en profondeur, souvent difficile, d’inscrire cette nouvelle volonté au sein même de la mission de leur entreprise. Dans les deux cas, pour y parvenir, elles sont contraintes d’évaluer leurs pratiques quotidiennes et d’adopter une gestion dite « hybride ». Quatre points forment les fondements de cette transition :

  • Fixer et suivre des objectifs sociaux ou environnementaux en parallèle des objectifs financiers.
  • Structurer l’entreprise pour remplir des activités durables (portée sociale, environnementale) et rentables (portée économique).
  • Engager l’ensemble des parties prenantes dans la double mission de l’entreprise (salariés, fournisseurs, partenaires, investisseurs, etc.).
  • Incarner la double mission dans une recherche de leadership sur le marché et auprès des parties prenantes.

Avec une mission claire, l’entreprise peut construire une vision pérenne de cette culture hybride. Elle devient un outil de management essentiel en interne. Un objet de différentiation auprès des clients, des fournisseurs et des investisseurs. « La gestion hybride doit impliquer tous les acteurs qui gravitent au sein et autour de l’entreprise, explique Anne-Claire Pache. Elle concerne les bénéficiaires de l’action, les experts, les autres parties prenantes. »

De la mission à la concrétisation des objectifs

Les travaux de la chercheuse, réalisés en collaboration étroite avec les chercheurs Julie Battilana, Metin Sengul et Marissa Kimsey, montrent qu’il n’y a pas de manière unique de parvenir à concrétiser les objectifs sociaux et environnementaux d’une entreprise.

Celles qui réussissent, mettent cependant l’accent sur le fait de maîtriser « à fond son sujet » c’est-à-dire de connaître toutes les implications de la production du bien ou du service en interne et pour les partenaires de l’entreprise. Autre enjeu clé : « fixer des objectifs explicites et pérennes » en adéquation avec l’actualité du marché. « Il est essentiel de s’engager dans un processus de ‘test and learn’. L’analyse de quelques key performance indicators (KPI) permet de suivre le degré de réalisation des objectifs sur la durée, confirme la chercheuse. Et ils peuvent être une source d’information déterminante pour guider le conseil d’administration dans sa prise de décision stratégique. »

Anne-Claire Pache a notamment observé des cas d’entreprise hybrides ayant adopté une approche intégrée du pilotage de la création de valeur, intégrant KPIs quantitatifs et données qualitatives. Certaines ont par ailleurs fait le choix d’investir dans un équipe interne dédiée à « l’impulsion et la supervision de la stratégie d’évaluation d’impact de l’entreprise, dans ses dimensions à la fois financières et sociétales. » Autrement dit, des personnes travaillant à la fois sur les notions quantifiables telles que le chiffre d’affaires réalisé, les coûts de production, les échéances auprès des partenaires et la qualité de vie des salariés au quotidien, mais aussi l’impact environnemental et social de l’entreprise. « C’est une façon de rendre très concrets les objectifs multiples de l’entreprise et de les piloter au quotidien », souligne Anne-Claire Pache.

Recruter des collaborateurs dotés d’un ADN compatible

Dans cette toute nouvelle approche d’une entreprise « actrice », chaque salarié devient une molécule de son ADN. Elle peut recourir aux compétences de trois types de profils : les « hybrides », ceux qui comprennent à la fois les enjeux financiers, mais aussi les enjeux sociaux et environnementaux de l’entreprise. Les profils « spécialistes » qui disposent d’une culture et de compétences liées à un domaine d’activité spécifique. Enfin, les profils « novices » qui n’ont pas encore d’expérience forte, mais pourront ainsi monter en compétences en adoptant dès leurs premiers pas la culture de l’entreprise.

Mais comment créer de la cohésion entre ces différents profils ? Comment les faire adhérer à l’identité et à la culture de l’entreprise ? Pour Anne-Claire Pache, la réponse tient en quelques mots : créer du lien et des espaces de débats au cœur de l’entreprise. « Une entreprise doit établir un environnement favorable à l’échange entre ses salariés et à la gestion des tensions qui peuvent émerger entre les objectifs financiers et sociaux. Par ailleurs, il est important que les processus de reconnaissance dans l’entreprise soient en cohérence avec cette double mission. Certaines entreprises utilisent la participation au capital pour les motiver et renforcer leur mobilisation dans ce sens. » Par exemple, en versant des bonus qui tiennent compte de la capacité des salariés à atteindre des objectifs de différentes natures (financiers, environnementaux, sociaux, etc.) Cela peut également se traduire par des actions de « team building » autour de projets concrets d’action sociale ou environnementale.

Incarner la double mission de l’entreprise

Une fois lancées, maintenir le cap pour les entreprises est souvent plus difficile qu’attendu : « Les dirigeants d’entreprise hybride sont souvent confrontés à des tensions au quotidien pour parvenir à leurs objectifs. Celles-ci peuvent provenir de tensions sur les ressources, d’avis divergents sur les dimensions à prioriser à certains moments de la vie de l’entreprise, confirme Anne-Claire Pache. Les leaders jouent donc un rôle essentiel dans l’incarnation de la mission de l’entreprise. Les décisions stratégiques doivent traduire leur volonté d’accomplir la double mission, leur ambition pour leur écosystème. » Dans ce contexte, le conseil d’administration joue le rôle « de gardien, de garde-fou ». Il doit maintenir l’attention de l’entreprise sur les dimensions à la fois économiques, sociétales et environnementales. Anne-Claire Pache et ses collègues reconnaissent cependant que les entreprises ne pourront se transformer seules : « Pour qu’elles puissent réellement changer, il faut que l’ensemble de l’écosystème dans lequel elles évoluent (régulateurs, investisseurs, évaluateurs, etc.) change aussi. »

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